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Le Grumman F 14 gris métallisé de l’U.S. Air Force s’annonça à la tour de contrôle à 7 h 20 p m. Quelques minutes plus tard, le chasseur bombardier, spécialement aménagé pour transporter des personnes très importantes, s’immobilisa à l’extrémité nord de la piste C de l’aéroport de La Guardia, dans la zone dite Confidential Zone. Bien qu’il ne fût pas des plus récents, le F 14 avait franchi en moins de trois heures les quatre mille cinq cents kilomètres qui séparent Los Angeles de New York. Une vitesse de croisière pour un appareil qui pouvait se déplacer à Mach 2,2.
Lorsqu’il descendit, T.E. Carlson n’eut pas à marcher beaucoup, une Commodore noire l’attendait à moins de vingt mètres de la piste. Décidément, pensa-t-il, ce vieux renard de Wellman n’a rien laissé au hasard.
En se laissant tomber sur la banquette arrière, son regard croisa celui de la jeune femme qui se tenait au volant. Elle lui souriait.
— J’espère que vous avez fait un bon voyage, monsieur Carlson, lui dit-elle. Monsieur Wellman vous souhaite la bienvenue, il vous attend au Manhattan State.
Ils roulaient déjà en direction de l’autoroute lorsqu’elle ajouta :
— Pendant votre séjour à New York, je suis chargée de m’occuper de vous. Je vous ai réservé une chambre au Pierre, mon nom est Vanessa, Vanessa Burlington, mais vous pouvez m’appeler Van. Votre prénom est Ti, je crois ?
— T.E. Carlson, oui, répondit-il, T ou E, tout simplement.
Il se rencogna. Théodore Edison Carlson avait toujours eu des difficultés à assumer le double prénom dont ses parents l’avaient affublé à sa naissance. Théodore, c’était en souvenir de son grand-père paternel, Edison en souvenir de l’autre, le père de sa mère. Dès l’école primaire, il avait dû en supporter les inconvénients ; avec l’âge, plutôt que d’en changer ou d’en supprimer un pour se faire appeler Théo ou Eddy, ce qui l’aurait obligé à trahir la moitié de ses origines, il avait préféré garder les initiales et se prénommer « Ti ». T.E. Carlson, cela sonnait bien. Il avait fini par tirer une certaine vanité de ce qui, tout compte fait, ne manquait pas d’originalité.
T.E. Carlson était un homme d’une corpulence hors du commun. Il mesurait un mètre quatre-vingt-sept, pesait cent trois kilos, et son énorme carcasse claudiquante passait difficilement inaperçue. Avec sa canne, indispensable, et son chapeau sans forme qu’il ne quittait que pour se mettre au lit, son impressionnante silhouette rappelait celle d’Orson Welles dans La Soif du mal. A quarante ans passés, T.E. Carlson pouvait se vanter d’avoir raté un certain nombre de rendez-vous importants au cours de sa vie. Son mariage avait été une vraie catastrophe, et sa fille unique était devenue une de ces marginales stéréotypées de la côte Ouest. Quant à sa carrière d’agent fédéral, elle avait été brutalement interrompue par une rafale de pistolet mitrailleur qui l’avait fauché en diagonale de l’épaule droite à la hanche gauche. Il s’en était tiré, mais non sans dommage. Le corps de T.E. Carlson était agrémenté de quelques prothèses ultrasophistiquées qui lui permettaient de se conduire à peu près comme un homme normal, mais l’Agence l’avait déclaré inapte pour le service actif. Il avait préféré prendre sa retraite plutôt que de terminer sa carrière derrière un bureau. Le jour de son départ, il avait eu droit à un discours du sous-directeur, à un verre de champagne californien et à une médaille pour ses douze ans de bons et loyaux services.
Depuis, il s’était installé à Los Angeles. Ayant peu de goût pour la pêche ou le golf, il avait monté un bureau d’enquêtes privées, pour rester « en action ». Spécialisé dans les affaires d’espionnage économique, les clients ne lui manquaient pas. La Silicone Valley, cette nouvelle terre promise, était devenue le terrain de chasse des pirates en secrets informatiques. La moindre avance technologique pouvait rapporter des millions de dollars.
T.E. Carlson était un homme discret mais terriblement efficace. Il avait été à l’origine du stratagème qui avait permis au F.B.I. de prendre la main dans le sac l’ingénieur japonais Hayashi et ses comparses. Ces hommes opéraient à grande échelle pour le compte d’importantes sociétés nippones et T.E. Carlson n’était pas peu fier de les avoir neutralisés, même si les Fédéraux s’étaient approprié tout le bénéfice de la prise.
Quatre ans auparavant, Frédéric Terman, le visionnaire de Stanford et de la Silicone Valley, l’avait convoqué pour lui présenter Arnold Wellman. Il s’agissait d’une affaire particulièrement délicate dont Carlson s’était tiré avec brio. Malgré de confortables honoraires, le client estimait être son débiteur. Une amitié était née de cette première rencontre, et les deux hommes avaient gardé le contact. Bien des choses les séparaient. Leurs origines et leur milieu en particulier. Mais ils avaient en commun un patriotisme exacerbé et un même besoin de se battre pour défendre les valeurs traditionnelles de la nation américaine. Peu de mots leur suffisaient pour se comprendre ; T.E. Carlson appréciait cette sobriété, de même qu’il aimait l’idée de travailler pour l’homme qui avait été l’un des pères de la bombe H. Il était prêt à accepter n’importe quelle mission, à condition que Arnold Wellman le lui demande en le regardant dans les yeux.
Il pénétra dans le salon de réception du Manhattan State, au dix-septième étage. Il était à peine neuf heures du soir. Arnold Wellman, debout, contemplait la ville. A travers l’immense baie, les derniers rayons rougeoyants du soleil illuminaient les gratte-ciel dont la perspective se perdait à l’infini. Dans cette lumière irréelle, Manhattan resplendissait de tous ses feux, fascinante comme un fruit vénéneux.
Wellman était plongé dans son passé. Il était jeune professeur à Berlin, durant ces années où l’Allemagne basculait dans l’ordre national-socialiste. Il pensait déjà à s’expatrier. Certains de ses amis disaient, en évoquant New York : « Lorsqu’on arrive, le soir, la ville resplendit au soleil couchant comme de l’or ! » Depuis, New York s’était révélé sous son vrai visage et l’or de ses tours n’était qu’un mirage.
Quand il se retourna enfin, T.E. Carlson vint à lui. Les deux hommes se serrèrent la main sans un mot, échangeant un regard qui suffit à les rassurer sur l’opportunité de leur rencontre. T.E. Carlson alluma une cigarette, attendant que Wellman se décide à parler.
— Contempler cette ville au moment du coucher du soleil est toujours un spectacle fascinant, dit enfin le physicien. Vous êtes un vieux New-Yorkais, T.E., vous connaissez cette émotion. Asseyons-nous là, prenez un verre, il y a tout ce qu’il faut là-bas.
T.E. Carlson se servit une rasade de Kentucky Shark et revint s’asseoir près de Wellman.
— T.E., reprit le vieil homme, je vais vous charger d’une affaire qui comporte beaucoup de risques. Jamais je ne me suis senti aussi dépourvu d’atouts, d’informations, mais il se prépare des événements terribles contre lesquels je dois intervenir.
Il s’interrompit, toussota pour s’éclaircir la voix :
— Je tiens à vous montrer deux choses avant de quitter New York. Vous vous rendrez compte par vous-même de la gravité des faits. Ce matin, le professeur Backmann, le plus éminent spécialiste en matière de microchirurgie cérébrale, a lacéré sauvagement le cerveau d’une jeune femme dont il venait de sauver la vie. Cela, ici même. Lundi dernier, on a retrouvé dans sa villa un vieil ami à moi, la tête emportée par une décharge de chevrotines. Il s’appelait Hans Buschmeyer, il était l’un des plus grands neurophysiciens de la planète et n’avait jamais montré le moindre signe de déséquilibre. Vous savez ce qu’il a fait ? Dans la nuit du dimanche au lundi, il a liquidé toute sa famille avec un fusil de chasse, après quoi il s’est tiré une cartouche dans la tête. J’ai vu le résultat, inutile de vous donner les détails. La crise de démence ? C’est effectivement la seule explication, mais pour moi ça ne colle pas. Je cherche à comprendre.
— Il y aurait un lien entre ces deux affaires ? demanda T.E. Carlson.
— Comment répondre avec si peu d’informations... Je ne peux pas accepter la destruction violente de ces cerveaux sans réagir, mais ce n’est pas tout... Il est un homme auquel je suis attaché pour des tas de raisons. Il n’est pas de ma génération, il vit loin d’ici. Nous nous voyons très peu. Il n’est pas impossible qu’il y ait un rapport entre lui et la tragédie de la famille Buschmeyer. Ce n’est qu’une intuition. Je veux en savoir plus.
— Qui est cet homme, demanda T.E. Carlson. Qu’est-ce qui vous fait penser à un lien possible entre lui et ces deux affaires ?
— Il s’appelle William Ashby, c’est un Anglais, un bio généticien, et... je compléterai votre dossier, T.E. Je ne peux pas tout vous dire, il y a des choses qui doivent rester dans l’ombre, impérativement. Il faudra vous en accommoder, comme à Stanford. Vous vous en étiez bien tiré.
— Qu’est-ce que vous attendez de moi ?
— Nous serons tenus au courant du déroulement des enquêtes. Pour Buschmeyer, c’est le F.B.I. qui est sur le coup. Buschmeyer était à la retraite depuis pas mal de temps, mais il continuait à travailler et il notait dans un cahier le résultat de ses recherches. Le cahier a disparu. Du coup, le F.B.I. récupère l’affaire. Je souhaite que vous vous occupiez d’Ashby, mais je vous envoie à la pêche sans savoir si vous ramènerez le moindre poisson.
— Vous avez tout de même une petite idée derrière la tête, professeur ?
— Exact. Voici comment je vois les choses. N’ayant rien de concret à me mettre sous la dent, j’ai raisonné par l’absurde en supposant le problème résolu ! Ce n’est pas par hasard que deux éminents spécialistes en neurologie détruisent des cerveaux. C’est plus qu’une coïncidence. Buschmeyer et Backmann étaient des hommes responsables, sains de corps et d’esprit. Et, tout d’un coup, cette violence de boucher ! Cela ne leur ressemble pas. Ils n’ont pas pu faire d’eux-mêmes une chose pareille. Une volonté extérieure les a manipulés. Je dois vérifier cette hypothèse.
— Hum, fit Carlson pour exprimer son scepticisme le plus discrètement possible.
— Je sais que tout ça n’est pas cohérent. Une succession de suppositions à partir d’une intuition, rien de plus. Mais je ne crois pas à la crise de folie. Si je me trompe, tant mieux ! et tant pis pour moi : peut-être suis-je à mon tour atteint de démence sénile...
Les deux hommes rirent un instant, puis T.E. Carlson demanda : .
— Qu’est-ce que je fais ?
— Vous allez à Londres, ensuite à Zurich, retour à Londres, puis Paris. Vous filez le train à William Ashby. Je veux savoir ce qu’il trafique.
— Mais pourquoi lui, insista Carlson, alors qu’apparemment tout se passe ici ?
— Je suis mon idée, T.E. Hier, j’ai reçu une information, les hommes du F.B.I. n’ont pas retrouvé la trace du fameux cahier de Buschmeyer, mais ils ont découvert chez lui, dans son coffre, la photographie d’un cerveau transpercé par une épingle à chapeau ! Il n’y avait que ça dans le coffre, et sur son bureau, un simple bout de papier avec une fois de plus le dessin d’un cerveau barré d’un trait ! Au dos d’un récépissé d’un envoi recommandé adressé à William Ashby.
T.E. Carlson vida son verre de whisky.
— O.K., monsieur Wellman, je vous suis, répondit-il.
Mais le ton manquait de conviction. Le vieux physicien chercha ses mots pour emporter son adhésion.
— Carlson, dit-il, je ne peux rien vous dire de plus. J’ajouterai simplement que William Ashby comme les deux autres, est un grand cerveau. J’en reviens à ma première hypothèse : un homme, ou une organisation, s’attaque aux grands cerveaux.
— Le début d’une épidémie soigneusement programmée ?
— C’est ce qu’il faut chercher à savoir.
— Les Russes ?
— Non, ils sont capables de tout, mais évitons de les soupçonner de toutes les vilenies. Cette situation peut se précipiter. Essayons de maîtriser ce danger !
Les deux hommes restèrent quelques instants silencieux. Derrière eux, les lumières de la ville se découpaient sur le ciel maintenant assombri. Wellman se leva :
— Suivez-moi, T.E., il faut que je vous montre ce qu’est un cerveau mutilé. Après, nous irons voir Backmann.
Dans le hall du Manhattan State Hospital l’horloge indiquait 10 h 25 p m. Dix minutes plus tard, les deux hommes arrivaient à l’institut médico-légal. Un préposé les conduisit jusqu’à la chambre froide où le corps de Magally Burnett reposait sur une table.
— Je tenais à ce que vous voyiez ça, dit Arnold Wellman.
Se tournant vers l’employé, il ordonna :
— Enlevez-moi ce drap.
— Complètement ? demanda l’homme.
— Oui, allez !
Le corps de la jeune femme apparut, entièrement nu. Carlson serra les poings en se forçant à ne pas détourner le regard. Il ne supportait pas ce genre d’endroit. Il remarqua d’abord les ongles des pieds, parfaitement manucurés et peints. Son regard glissa lentement vers les jambes, remonta. Les cuisses et les hanches étaient magnifiques, le mont de Vénus, d’un blond roux, et les seins, fermes et droits, ponctuaient un corps bruni, sensuel, fait pour l’amour et d’une incroyable fraîcheur Carlson frissonna. Il détaillait le visage bleui d’ecchymoses et le crâne ouvert, découvrant un magma informe et violacé. Le contraste entre ce crâne ouvert et ce corps offert était insupportable.
— Approchez, T.E.
Carlson voulut refuser. Il se demanda à quoi voulait en venir Wellman avec cette macabre mise en scène, mais il se retint de tout commentaire et obéit. Tandis qu’il se penchait sur la plaie, enregistrant chaque détail, le physicien reprit ses explications, répondant en partie à sa question non formulée.
— Je vous ai demandé de venir pour que vous touchiez de près cette réalité, résultat d’une folie criminelle inexplicable. Non seulement David Backmann n’avait aucune raison de détruire le cerveau de cette jeune femme, mais je suis sûr qu’il n’en a jamais eu l’intention, même au moment où il l’a fait. Vous comprenez ce que cela signifie ?
Se détournant du cadavre, T.E. Carlson s’étonna.
— Que voulez-vous dire ?
— C’est pourtant clair, Backmann n’a jamais su ce qu’il faisait, on s’est servi de lui. Il a agi sur ordre !
— Il aurait été influencé ou téléguidé ? Ce n’est pas croyable !
— C’est ce que je crois. Idem pour Hans Buschmeyer. Je prends l’entière responsabilité de ce que j’avance. Tout ce que je vous demande, T.E., c’est de faire un certain nombre de choses que je ne peux pas faire moi-même. Venez, nous allons voir dans quel état il se trouve maintenant.
David Backmann avait été transféré à l’hôpital central de la police criminelle. Il était enfermé dans une chambre du troisième étage, surveillé de près par une infirmière et un policier en uniforme. Lorsqu’ils arrivèrent, l’infirmière racontait sa vie par le menu au policier qui l’écoutait distraitement en manipulant un Rubicube. Une ampoule de forte puissance éclairait la chambre où se tenait David Backmann. Il était allongé sur le lit en fer, recroquevillé en chien de fusil, le dos contre le mur. Il semblait dormir. On avait relâché les sangles de la camisole pour qu’il soit plus à l’aise, mais il restait bel et bien entravé, incapable de faire un mouvement.
— Rien de nouveau ? demanda Wellman.
— Rien, monsieur, répondit l’infirmière.
— On peut entrer un moment ?
— Allez-y, monsieur Wellman, n’oubliez pas de signer le registre avant de vous en aller.
Ils pénétrèrent dans la chambre. Wellman saisit l’unique chaise et s’installa contre le lit. Il resta un moment sans rien dire.
— Il ne dort pas, dit-il, il est encore groggy, mais il ne dort pas !
— Backmann, cria-t-il, je sais que tu ne dors pas, Backmann, ouvre les yeux et regarde-moi.
Le tutoiement et le ton agressif de Wellman troublèrent T.E. Carlson. Il y avait là quelque chose de déplacé ou d’indécent, mais il se tut. L’homme bougea, très légèrement. Ses paupières se soulevèrent avec difficulté. Ses yeux vides de toute expression se figèrent en direction de la voix qui venait de l’interpeller. Wellman cria à nouveau :
— David Backmann, tu m’entends ? Réponds-moi !
L’homme resta inerte. Son regard continuait à fixer un point, droit devant lui, bien au-delà de Wellman.
— Backmann !
On frappa à petits coups pressés derrière eux, contre la vitre. T.E. Carlson se retourna et aperçut l’infirmière qui leur faisait des signes. A cet instant David Backmann sembla prendre conscience de leur présence. Il se redressa tout à coup, son œil s’éclaira, l’espace d’une seconde et, regardant Arnold Wellman, il émit entre ses lèvres en cul-de-poule un long sifflement qui se prolongea en un interminable crescendo. Il se recroquevilla aussitôt, ses paupières se refermèrent et le corps se replia en position fœtale.
— Cet homme est complètement déconnecté, laissa échapper T.E. Carlson.
— Exact, approuva Wellman en se levant, il a été déconnecté. Venez, nous perdons notre temps.
Dans la voiture qui les attendait devant l’hôpital municipal, Wellman prit aussitôt la parole.
— Voilà comment nous allons procéder, T.E. Il est inutile de rester à New York, nous allons rentrer chez moi, nous y serons d’ici quatre à cinq heures. Là-bas vous aurez le temps de vous reposer et de vous préparer, demain nous referons le point de la situation. Je vous donnerai toutes les informations dont je dispose. Dimanche, vous partirez pour Zurich. Après ce sera à vous de jouer.
T.E. Carlson eut une pensée pour Vanessa Burlington et la chambre qu’elle lui avait réservée au Pierre. Il se demanda si la jeune femme avait choisi un lit à deux places puis il l’oublia. Ce n’était pas dans sa manière de regretter ce genre de rendez-vous manqué. Il demanda :
— Je commence par Zurich ? Je file votre Anglais ?
— Il y sera mardi, lui et deux autres personnes avec lesquelles il doit travailler. Un simple travail d’observation, T.E., mais du précis et du fignolé. Vous aurez le temps de vous organiser d’ici là ?
— Je pense, professeur.
Arnold Wellman toqua sur la glace fumée qui les séparait du chauffeur et la Chrysler s’ébranla en silence.
— Nous n’aurons pas à nous arrêter en route. Nous avons des repas froids, du bordeaux et du Chivas.
La voiture se faufilait en douceur à travers le trafic encore dense sur Broadway, en direction de l’interstate 84.
— Peut-être Backmann avait-il une bonne raison pour trucider cette bonne femme ? Et Buschmeyer aussi... suggéra T.E. Carlson.
— Laissez tomber, T.E., les flics d’ici sont suffisamment accrocheurs pour ne rien laisser au hasard. Mais ils ne trouveront rien. Occupez-vous de Ashby. Lui aussi pourrait être déconnecté ou sur le point de l’être.
— Vous pensez qu’il fait partie de la même charrette ?
— Exact, T.E., je fais même plus qu’y penser, et je ne serai tranquille que lorsqu’on aura éclairci la situation.
— Une prémonition ?
— Plus que ça, T.E., une conviction.
Il se tut et reprit d’une voix lasse :
— Ne m’en voulez pas, T.E., je vais essayer de dormir une heure ou deux.
T.E. Carlson ouvrit la porte du coffret qui se trouvait devant lui. C’était un petit frigidaire, le chauffeur avait pensé à tout. Il se servit un verre de Chivas et se cala confortablement pour le déguster. Y avait-il un dingue qui supprimait les « grosses têtes », ou bien Wellman commençait-il à dérailler ? Il ferma les yeux. Le whisky dissolvait lentement son malaise.
Ils avaient déjà quitté le Bronx et roulaient en direction de New Haven.